Carnet de route

Pointe des Aigles
Sortie : Camp alpi 2016 du 30/06/2016
Le 30/06/2016 par Hugo
Après déjà trois jours d’efforts, le réveil à 4h est pénible: pas de douche brulante pour laver la peau qui colle et délasser les muscles engourdis. La seule bonne nouvelle c’est la pâte à tartiner maison de Julie, amande miel, pas trop sucrée, qui m’épargne une rasade de fruits secs dont l’ingestion devient pénible tant j’ai déjà le goût de la figue qui imprègne mon système digestif jusqu’à l’arrière des molaires. A la table d’à côté, il y a les fringues encore trempées de la veille qui me regardent avec un air morne, avachies sous le poids de poches sombres d’humidité, un peu comme mes cernes… Ma tête hirsute doit ressembler à ces gants enfilés sur un pied de table retournée avec les doigts qui partent dans tous les sens. Ô comble de la joie d’enfiler le pantalon moite dans la torpeur du petit matin quand la souplesse me manque déjà et qu’il faut s’armer de patience pour ne passer rien qu’un seul pied (pas si odorant que ça, soit dit en passant. J’ai bien fait de choisir des chaussettes avec un bon pourcentage de laine). Ça donne envie hein ? Nous nous mettons rapidement en route grâce aux sacs judicieusement préparés la veille: l’air frais vivifie tandis que le corps se réchauffe dans l’exercice. La frontale est à peine nécessaire, les lumières du petit matin sont colorées et douces avant les contrastes violents de la neige irradiée par cette journée de beau temps. Emprunté il y a trois jours pour monter au promontoire, on connait déjà le sentier, on marche donc chacun dans sa bulle. Arrivés au pied du couloir, on enfile les crampons et l’on poursuit les zigzags. La langue de neige qui dévale ce défilé est chargée de petits blocs format balles de ping-pong et de tennis. L’alpiniste en général se délecte des métaphores associant blocs de roche et objets du quotidien, avec un penchant certain pour l’électroménager. On arrive au pied de l’arête sans mauvaise surprise, l’itinéraire se devine bien dans le rocher parfois rougeâtre, parfois gris. A l’arrêt, le froid pince bien, l’arête est exposée plein ouest et ne verra le soleil que dans quelques heures. Clément se lance dans la dalle en ascendance à droite et trouve déjà des pitons. Pendant ce temps, je confie à Fabien mes crampons, mon piolet, mon assurage et il a l’air plutôt chargé ! Julie déguste une petite onglée de son coté au premier relais, petit rituel perso, quotidien apparemment. On se suit encore un peu, puis Clément et Julie arrêtent de tirer des longueurs et s’envolent. On prend des anneaux pour les imiter avant de se rendre compte que l’on n’est surement pas dans l’itinéraire. Preuve en est avec une fin de longueur bien raide où le sac à dos tire Fabien en arrière, qui lui-même tire sur le rocher qui lui reste dans la main. La corde se tend sec et ... Fabien repart. Un peu de corde tendue plus classique et on attaque la suite. Plutôt que de détailler cette suite jusqu’au sommet, qui est encore fort longue et ennuyeuse pour le lecteur, attardons-nous sur un échantillon représentatif. Vous êtes dans une longueur, vous ne voyez pas plus votre point de départ que votre point d’arrivée, il n’y a rien d’autre que le contact avec la roche encore fraiche, rien d’autre qu’une certaine immensité autour de vous. Au-delà du contemplatif et du sensoriel, il y a le jeu de l’escalade, presque animal, à s’extasier benoitement de prendre de la hauteur en s’agrippant toujours à quelque chose de plus haut. Ensuite vient la satisfaction de réfléchir à sa progression, anticiper son cheminement, faire des mouvements maitrisés, s’engager puis, comme une soupape qui libère de tout ça, poser un bon coinceur. Recommencez ce petit manège émotionnel dans le cycle des longueurs et vous voilà déconnecté du reste, nettoyé de tout ce qui encombre votre esprit. Arrive le sommet où Clément et Julie papotent et bronzent depuis…nan ? combien ? 2h ? J’accuse Fabien d’avoir été lent pour retirer les protections et le tour est joué. Plus justement, j’en profite pour saluer Fabien qui décoince absolument tout en une seule application, mieux que le WD40, car il ne laisse pas de traces de gras sur le matériel. En parlant de gras, depuis la sortie goulotte avec Seb, je sens que Clem insiste pour que je mange pendant la course, il prend mon sachet de dates et veille d’un œil à ce que j’en avale une poignée. Le rocher de la descente évoque un magasin Darty en liquidation, des rayonnages entiers de grille-pains & gaufriers en vrac ! Faisant fi du danger, la désescalade est menée au pas de course jusqu’au col des chamois et son couloir W à l’infâme réputation de champ de tir. Une fois totalement déneigé, le mitraillage confine Beyrouth ou Sarajevo à des batailles de petits poids de la cantoche. Les rappels du dit couloir vous déposent dans des pentes qui a chaque pas en avant vous font descendre de 2m, ski! De retour sur le sentier, le reste de la troupe vient à notre rencontre. Agathe me raconte leurs aventures mais je ne comprends que 3.5%. Un truc est tombé, machin est tombé, un truc est tombé dans la cascade, ce dernier truc est lié aux trucs tombés avant mais c’est autre chose que le premier truc, non machin n’est pas un gros sac, machin A un gros sac, donc c’est ce gros sac et pas machin qui est tombé dans la cascade mais en fait si, un peu parce-que cascade, c’est le nom de la voie, du coup on peut dire qu’il a fait une cascade dans cascade sans cascade dans LA cascade. Je doute autant de ma fraicheur intellectuelle que de mon interlocutrice qui sent quand même très fort l’élixir de chartreuse… Crédit photo : Julie H